Alors là l'iguane est arrivé torse nu et la foule comme un seul homme
s'est époumonée, a craché ses tripes et transpiré plus que de raison,
s'est muée en une vague folle, allant d'avant en arrière tandis que le
maître sur son piédestal ne lui accordait pas même un regard pour la
subjuguer, tant elle était en son pouvoir, et il a commencé à gueuler,
l'ivresse et l'intensité du rock'n'roll avait fait de nous tous de
damnées folles, les larmes aux yeux, et après s'être foutu de la gueule
d'Eudeline qui avait dit, un peu plus tôt, "Salut les rockers", on n'en
menait pas large devant les putains de Stooges, comme un shot
d'adrénaline qui a fait 3 ou 4 fois le tour de nos veines avant de nous
irradier le ciboulot de ses relents lumineux, nous étions là, au bon
moment, au bon endroit, et tout, la folie, la furie, m'a parue
monstrueuse et effrayante quand une de mes foufs m'est tombée dans les
bras, dans les pommes, et que j'ai dû la transporter à travers les
gens, ceux-là même qui pogotaient comme des pensionnaires d'asile sous
speed périmé, qui ne nous voyaient pas, et tandis que je la portais à
travers eux devant moi comme un bélier des pensées telles que "Oh mon
Dieu, je suis en train de rater le concert d'Iggy Pop" m'assaillaient,
je l'ai posée dans un coin et j'ai repris ma place, alors Iggy était
cambré sur un ampli, il paraissait 20 ans, même sur les écrans géants,
et dix contre un que même les gonzes les plus hétéros du lot l'auraient
chevauché volontiers, lui qui voulait être notre chien à ce moment
précis, et ce mec, derrière moi, qui danse en même temps que moi qui
justement suis comme une chienne en chaleur, et qui agrippe mes
hanches, et qui fait une parodie d'acte sexuel avec moi qui suis bien
trop Cuba-libérée pour lui résister, tout ce que je fais, c'est de le
frapper mollement quand il se répand comme un gros vieux dégueulasse
qu'il est sous mes vêtements, et dire que quelques minutes plus tôt
j'ai failli mourir piétinée, un mec aux tétons énormes et dressés qui
volaient au-dessus de nos têtes m'était tombé dessus en beauté, et dans
la poussière je me disais personne ne t'entendra crier, c'est peut-être
pas la fin mais tu vas souffrir, je me noyais sous les gens, par je ne
sais foutredieu quel miracle j'ai pu remonter, j'ai serré le slammeur
dans mes bras, et là je me retrouve avec cet inconnu derrière moi qui
bande comme un taulard en conditionnelle et je n'ai pas envie de voir
son visage, oh non, alors je le laisse faire et j'essaie de suivre le
concert, mais tout ce que j'ai c'est de la poussière, de la sueur, tout
un ramassis de punks, des vieux de la vieille qui comme diraient les
grand-mères pourraient ouvrir une quincaillerie rien qu'avec leur
Perfecto aux petits jeunes qui t'échangent des biscuits contre du rhum
bon marché, et il s'écoule pas mal de temps je suppose, vu que les
Stooges jouent de nouveau "I wanna be your dog", et qu'Iggy passe à
quelques mètres de moi pour prendre deux nanas dans la fosse, elles
montent sur scène, il se met à quatre pattes, elles ne font rien
d'autre que danser, les gourgandines, de la confiture aux cochons, moi
je vous le dis, et je me met à chialer de désarroi, elles qui s'amusent
avec le pape du rock et moi qui suis coincée à essayer de me
débarrasser du pervers, et Iggy s'en va, et le pervers s'en va, et tout
le monde s'en va, et moi je suis toujours acrrochée à cette barrière,
oui, tout devant, et un roadie ou un vigile ou un type de ce genre se
montre gentil avec moi, j'apprécie mais je suis sûrement trop bourrée
pour lui raconter comme ça fait mal, je le remercie, je m'en vais, je
profite de mon visage inondé pour taxer une cigarette, évidemment ça
passe mieux mais j'en ai réellement besoin, des gens me serrent dans
leurs bras et je reste mutique, et quand un mec me dit qu'un autre mec
me suit je reconnais le type que j'ai finalement vu inexplicablement et
je m'enfuis à toutes jambes, les néons pour le Palais du rire ou les
melons de Moncuq défilent, et j'arrive à notre tente, plantée sur une
espèce de terre-plein central comme on dit au code de la route, au
milieu de plein d'autres, mes amies sont là et d'autres personnes
arrivent, je bois, on boit, on visite les égouts avec un Trent de Daria
nain, on fait pipi dans les égouts, je me couche ivre morte, et quand
je me lève je vois qu'on est au moins 8 dans la tente alors qu'on est
venus à 4, je trouve ça bizarre, on m'explique que nos colocs ont
oublié leurs arceaux de tente, les cons, il fait jour, les gens boivent
de l'alcool fort et fument des joints, il n'est même pas 9 heures, avec
les filles on va se taper un petit déj digne de ce nom, à la Fête de
l'Huma, mais les portes ne sont pas encore ouvertes et des vieux cons
grommellent et gueulent sur les vigiles, comme quoi c'est leur fête,
comme quoi il faut leur ouvrir, même si ce n'est pas l'heure, nous on
attend puis on va bâfrer, tout ça pour 3 euros, si soif après une
cuite, et on retourne à la tente, et un type blond jusqu'aux cils se
ramène, timide comme un moine, une baguette de pain à la main, et nos
voisins l'alpaguent : "C'est toi le préposé au petit dej ?", juste pour
plaisanter, à cause de la baguette, sauf que le pauvre gars, il est
Finlandais, et qu'il comprend rien, alors on l'invite à notre nappe, et
il se met à bouffer des haricots en boîte sur du pain tout en buvant du
cidre et en nous en proposant, et nous, on a le coeur au bord des
lèvres, et avec mon pote on décide de faire une virée, genre
auto-tamponneuse, on les cherche, et je suis bien contente que le
Finlandais soit pas venu parce que ce mec me donne des maux de tête,
quand j'ai essayé de lui expliqué le concept des auto-tamponneuses il
m'a dit qu'en Finlande, ils n'avaient pas de petites voitures, et que
de toute façon leurs voitures étaient chères, et nous voilà au milieu
de tous ces stands de guingois pour shiteux, et un jeune mec à appareil
dentaire nous montre une grande cage, censée symboliser un centre de
rétention pour sans-papiers, il nous dit, le gars, de prendre la place
des sans-papiers, jusqu'à ce que quelqu'un prenne notre place, on entre
dans le poulailler, avec 12 autres personnes dans 3 mètres carré, et
tout le monde nous regarde, un mec boit une bière et dit " Ca fait dou
heul qué yé souis là", et nous on sort au bout de 5 minutes car deux
pigeons ont pris notre place, on erre dans les rues temporaires aux
noms de figures de proue communistes, il fait beau et nous sommes
heureux car nous sommes jeunes, nous sommes beaux, nous sommes vivants,
nous sommes fiers et nous sommes des bobos hardcore, et les
auto-tamponneuses, on se les est comme qui diraient foutues derrière
l'oreille, et j'achète deux sucettes au goût hashich et je souris.